Palais U


Le Palais universitaire, de l'Université impériale à l'Université de Strasbourg, un symbole de prestige intellectuel et culturel au cœur de la cité.

Argentorata ou Argentina ?

ArgentinaSi le nom de Germania ne pose aucun souci, celui de la seconde statue, image de la ville de Strasbourg, soulève quelques questions. On trouve dans la littérature différents noms : Argentorata ou Argentina étant les deux qui prêtent le plus à débat.
Argentorata est le nom latin de la ville de Strasbourg à l'époque de l'occupation romaine mais Argentina est la version latine médiévale. C'est cette version qui a été choisie par la chancellerie impériale.
En effet sur les photos d'archives, on peut remarquer le nom d'Argentina au-dessus de la statue. De plus, cette appellation médiévale semble plus en phase avec la statue elle-même, qui souligne le passé universitaire de la ville de Strasbourg, qui plonge ses racines bien plus à la période médiévale qu'à l'époque romaine.

Des racines à la Kaiser Wilhelms Universität

L’université strasbourgeoise ne naît pas ex-nihilo en 1870 sur volonté impériale. La tradition intellectuelle dans la région remonte au XIIe siècle en plein essor de la création de nombreuses universités européennes.Vue du couvent des Dominicains en 1548, détail du panorama de Strasbourg par Conrad Morant
La première trace de l’enseignement de type universitaire à Strasbourg se trouve vers 1224. A cette date, les Dominicains s’installent en ville sur le site de l’actuel Temple Neuf (les bâtiments annexes sont détruits par un incendie en 1860 et l’église sera détruite par les bombardements de 1870). On y trouve un studium et un studium général. Toutefois, toujours pas d’université comme on peut en trouver ailleurs en Europe : Paris, Oxford, Italie… Mais nous avons tout de même un centre d’effervescence culturelle et qui favorise une promotion et une meilleure connaissance du livre.
Strasbourg ne dispose pourtant pas encore, à proprement parler, de son université. Se sera chose faite en 1539 sous l’impulsion de Jean Sturm déjà à la tête du Gymnase, qui forme l’élite strasbourgeoise et qui se situe alors au Temple Neuf. Il fonde son programme sur neuf à dix années qui peuvent compter jusqu’à 644 élèves, effectifs plus ou moins similaires à ceux des universités voisines. Ses finances sont autonomes et elle est placée sous l’autorité d’un recteur dont Sturm de 1538 à 1581.

Quatre facultés à la fin du XVIe siècle

Dès 1566, on se dirige vers un modèle encore plus universitaire avec une extension vers quatre facultés. La première celle des arts est reconnue en 1566 par l’empereur Maximilien II.
Diplôme de l'empereur Maximilien II instaurant l'Académie de Strasbourg en 1566A la fin du siècle, l’empereur Ferdinand II de Habsbourg reconnaît les quatre facultés : arts, théologie, droit et médecine et les grades de licenciés et de docteurs, en échange Strasbourg restera neutre pendant la Guerre de Trente ans. Toutefois, on ne prononce toujours pas le nom d’université mais on parle d’académie. Dès les origines, un soin tout particulier est apporté aux choix des enseignants, recrutés parmi les plus réputés et formés à l’école de l’humanisme : comme l’historien Michel Beuther. Dès lors, l’académie se forge une réputation d’excellence et une identité forte. Elle se dote d’une bibliothèque, d’un auditoire, etc.
L’université connaît une renommée croissante et va accueillir entre 1621 et 1724 près de 8 000 étudiants (un succès pour l’époque), la plupart venant d’en dehors de l’Alsace mais restant dans l’ère des pays de langues germaniques et passés à la Réforme.
On note que lors du rattachement à la France, cette dynamique ne s’essouffle pas, bien au contraire. Louis XIV confirme tous les droits et privilèges de l’université qui reste luthérienne et de langue allemande. On note comme enseignant Goethe dès 1770 et comme diplômé le prince Metternich, futur ministre de l’empereur d’Autriche. On voit que le prestige n’est en rien altéré par le passage à la France. La Faculté de médecine prend de plus en plus ses quartiers vers l’hôpital civil et on note l’installation du jardin botanique qui s’accompagne du développement de l’enseignement des sciences naturelles.

1808-1870 : L'université est

La Révolution met un bémol à l’évolution de l’université mais ne détruit pas le ferment intellectuel qui continue de foisonner au Gymnase.
A partir de 1824, on décide de déplacer l’académie dans de nouveaux locaux (actuellement au 4 rue de l’Académie), sous l’autorité d’un recteur nommé par Paris. On retrouve la médecine, les lettres, les sciences et la théologie. Toutefois, la bibliothèque reste au Gymnase qui de fait continue de jouer un rôle. Le personnel est désormais rétribué par l’État. Le bâtiment étant trop petit, on voit l’enseignement se multiplier dans différents lieux, ce qui contribue un peu à troubler l’identité de l’université. Pour résumer la période 1808-1870, l’université n’existe pas de façon institutionnelle mais elle est.Bâtiment de l'Académie, gravure de LA.Perrin, 1840
On voit donc passer Louis Pasteur (1852-1854), Numa-Denis Fustel de Coulanges ou Charles Gerhardt (inventeur de l’aspirine). L’université existe bel et bien en dehors des cadres administratifs stricts. La tradition se prolonge à Strasbourg dans des locaux dispersés dans toute la cité.

L’université impériale : 1872-1918

En 1870, Napoléon III perd la bataille de Sedan face à l’Allemagne. De cette défaite résulte la fin du Second Empire et l’abandon de l’Alsace-Moselle au vainqueur. Guillaume Ier, tout nouvel empereur d’Allemagne, proclamé le 18 janvier 1871 et son chancelier, Otto von Bismarck, entendent faire de Strasbourg, le cœur et le symbole du prestige du nouvel Empire. Dans ce but, ils décident dès 1872, de faire édifier une université à Strasbourg. Cette dernière doit permettre d’assimiler l’Alsace au Reich, tout en devenant une vitrine du génie allemand. Il s’agit de créer une « université de première importance qui soit un lieu digne de l’esprit allemand » selon Von Roggenbach, homme politique au service de l’empereur. Cette expérience est d’autant plus déterminante que Berlin mis à part (créée en 1810), il n’y a aucune autre création universitaire sur l’ensemble de l’Empire. Les deux dates de 1567 et 1872 inscrites sur le fronton rappellent la continuité mais aussi la restauration : ce sera l’université la plus moderne, d’une ville nouvelle conçue comme une capitale. Au bricolage des années précédentes succèdent une véritable machine d’État.
On évite cependant d’en faire un bâtiment triomphaliste, à la gloire du vainqueur, en effet toute idéologie et iconographie politique est exclue et il faut bien regarder pour savoir que l’on se trouve dans un bâtiment impérial allemand.

101 projets déposés

 Litteris et PatriaeDès mai 1871, la création de l’université est ratifiée à Berlin et les chaires de professeurs sont créées. On l’installe provisoirement au Palais Rohan (droit, philosophie et sciences), près de Saint Thomas (théo.pro.) et porte de l’Hôpital (médecine).
Un nouveau bâtiment est nécessaire à ce prestige, c’est ainsi que s’ouvre en 1878, un concours d’architecte pour choisir le meilleur projet. 101 projets sont déposés au jury, dont dix alsaciens, c’est un succès considérable. A la surprise générale, le projet d’un jeune architecte Otto Warth est retenu en lieu et place de celui de l’architecte officiel de la cour, Hermann Eggert. Les travaux sont lancés pour s’achever en 1884, soit un délai très court qui surprend tout le monde. On choisit le site de la porte des pêcheurs car il offre un espace vide conséquent. En effet, à cette date, nous nous trouvons alors en plein milieu des champs.
Le financement obtenu en 1877 provenait du gouvernement impérial qui prenait à sa charge 71% des dépenses.
L’inauguration se fait en octobre en présence de l’empereur. Plutôt que de laisser son nom sur la façade, on choisit la phrase Litteris et patriae (Aux lettres et à la patrie), plus à même de ne pas froisser les susceptibilités locales et c’est cette neutralité qui a préservé cette inscription jusqu’à aujourd’hui.

Une ville nouvelle

Le Palais sera la tête de pont du nouvel ensemble universitaire, tourné vers l’ouest, il s’ouvre vers la cité. Cette orientation n’est pas fortuite. En effet, symboliquement, l’université s’intègre dans la ville et fait preuve d’ouverture, à l’inverse d’une image d’intellectuels fermés qui travaillent cachés derrière les murs opaques de leurs instituts. Ce projet de Warth va à l’encontre du projet d’Eggert qui va devoir modifier ses croquis et s’en trouvera fort fâché.Le Palais U est en forme de T
Le Palais s’inscrit dans le projet monumental de la Neustadt. Cette ville nouvelle voulue par l’empereur va presque doubler la superficie de Strasbourg. Nous nous trouvons ici dans l’axe impérial, pensé par l’architecte municipal Conrath, avec sur une même perspective, le Palais universitaire, symbole du savoir, le Palais impérial, symbole du pouvoir politique (inauguré en 1888 dans le style néo-renaissance germanique), l’église Saint-Paul, symbole du pouvoir religieux et plus derrière le Tribunal, symbole de la justice.
La ville nouvelle doubla la surface de Strasbourg et on passe de 94 000 habitants en 1875 à près de 180 000 en 1910. En comptant les 12 000 soldats de la garnison et plus de 4 000 fonctionnaires impériaux qui vont loger dans les hôtels haussmanniens de la ville nouvelle. Il faut aussi loger une importante population allemande en cas d’une très probable volonté de revanche française. En plus du site de l’université, on développe tout autour un quartier résidentiel de villas avec jardinets, dont certains sont destinés aux futurs enseignants et doyens.

Le décor extérieur

Le Palais offre un plan en forme de T inversé organisé autour d’un espace central qui distribue deux ailes symétriques sur plus de 10 000 mètres carrés de surface utile.
Germania et ArgentinaLe style du bâtiment s’inspire très largement de la Renaissance italienne, mais aussi, et on peut s’en étonner, du classicisme français, on peut penser au Petit Trianon ou au Garde meuble de la Concorde. Cette évocation montre combien l’architecte est éloigné des questions nationalistes qui ravagent pourtant l’Europe du XIXe siècle. On est loin de la mode néo-gothique qui connaît un grand succès en Angleterre ou en Allemagne, comme en témoigne la Poste de Strasbourg.
On trouve donc un rez-de-chaussée traité en rustique et un étage noble rythmé par des colonnes et des pilastres. On note le pavillon central en saillie censé apporter un peu plus de majesté à l’édifice notamment grâce aux colonnes corinthiennes surmontant le balcon qui répondent aux colonnes ioniques, donc plus simples, des pavillons d’angle. Les niches abritaient alors des statues allégoriques d’Argentina et Germania. Ces deux statues sont à elles seules un résumé de l’idéologie impériale. Dans les projets, nous devions avoir une Germania martiale et conquérante, face à une Argentina défaite et conquise. Hors de question d’envoyer un tel message. On veut une Germania digne et une Argentina tête haute. Germania est décapitée par les étudiants le 15 mai 1920 et sa tête est promenée dans toute la ville. Cette année, ces deux statues font leur retour sur la façade du Palais U, symbole de cette amitié franco-allemande retrouvée et de la double culture de l’université. 

L'unité et la continuité de l'université

Les niches au-dessus des fenêtres abritaient les bustes d’Aristote pour la philosophie, Solon pour le droit, Saint-Paul pour la théologie, Hippocrate pour la médecine et Archimède pour les sciences. Les cinq bustes ont disparu. Proposés comme effort de guerre, ils sont fondus en 1941.
Au-dessus de ces statues, on retrouve deux bas-reliefs en bronze représentant des Putti. Sur celle de gauche, on retrouve l’évocation de la transmission du savoir de génération en génération. Sur celle de droite, on voit les personnages déposer les armes au profit des outils du savoir. Le message étant qu’à partir d’aujourd’hui, l’Allemagne allait gagner ses batailles par la science et non par la guerre.Dates sur la façade du Palais U
Encore au dessus, on trouve deux dates symboliques en chiffres romains : 1567 à gauche, fondation du Gymnase par Sturm, et 1872 date de la refondation de l’université allemande. Ces deux dates cherchent à montrer l’unité et la continuité de l’université. Finalement, les Allemands n’innovent pas, ils ne font que reprendre la longue tradition universitaire ininterrompue à Strasbourg.
Le tout est couronné d’un fronton d’inspiration grecque. Au centre, on trouve Athéna, déesse du savoir, devant un trône et tenant un flambeau et une couronne de lauriers. Près d’elle, deux femmes : à gauche les sciences de l’esprit représentées par une femme d’âge mûr dévoilant un sphinx à un jeune homme et à droite, les sciences de la nature, sous la forme d’une jeune fille montrant à un adolescent un cristal et un compas. Ce groupe sculpté a été restauré grâce au mécénat d’American Express voilà quelques années.

Un Panthéon de 36 savants

Sur les pavillons d’angle, on remarque des statues de savants avec leurs noms en dessous, la plupart sont d’origine germanique. Il s’agit d’un Panthéon de 36 savants, qui au-delà de la symbolique intellectuelle évidente, ont un rôle didactique. Il s’agit de faire comprendre aux Strasbourgeois, la richesse du patrimoine germanique. Nous avons là la seule véritable concession à une certaine forme de pangermanisme. On ne trouve que quatre Alsaciens : Sturm (théologien), Sleidan (historien d’origine luxembourgeoise), Spener (théologien) et Schoepflin (historien d’origine allemande qui arrive à Strasbourg à 16 ans).
Statues sur la façade du Palais UEn 1923, l’Université devenue française souhaite offrir un monument à la mémoire de Pasteur. On retient le projet de Jean Larrivée et le monument est inauguré le 31 mai 1923. Le monument est très mal reçu par l’opinion publique qui le rebaptise la « carotte ». On peut y voir un obélisque de neuf mètres de haut planté dans un bassin à décoration allégorique. On représente le chien enragé et le jeune Joseph Meister qui remercie Pasteur après sa vaccination. Le monument est détruit en 1940.
Le toit est traité en terrasse pour donner un aspect plus léger au Palais U. En effet, dans un premier temps, le projet d’Otto Warth prévoyait des toits en forme de bulbes un peu lourds.
Le Palais est destiné à abriter la théologie (protestante d’abord, puis catholique dès 1902 pour aplanir les relations de l’Empire avec le Saint Siège et offrir aux catholiques alsaciens une visibilité), le droit et la philosophie.

Les Alsaciens boudent l'université

Dans un premier temps, l’université attire en majorité les étudiants allemands et reste un échec au niveau de l’intégration des Alsaciens, mais petit à petit la tendance s’inverse sans jamais vraiment être un succès. Pourtant, l’Empire ne ménage pas sa peine et un cadet de l’empereur Guillaume II, le prince Auguste, est envoyé étudier à Strasbourg. On découvre hélas qu’il ne rédige pas seul sa thèse et l’effet est déplorable. L’empereur Guillaume II visite l’université à trois reprises.
En 1887-1888, on compte près de 25% d’Alsaciens contre 45% en 1917-1918. Les Alsaciens ayant les moyens préfèrent partir vers les universités françaises ou vers Bâle. Les étrangers (non allemands) sont également un vivier important et montrent le prestige acquis par l’université.
Dès 1901, elle s’ouvre aux jeunes filles, jusque là tenues à l’écart car ayant un caractère peu compatibles avec les études (dixit le recteur). De 1900 à 1905, leur nombre passe de 15 à 244.
L’université allemande est dissoute dès avant la rentrée de novembre 1919, il s’agit alors pour l’université française de rivaliser avec le prestige de la précédente.

Le décor intérieur de 1878 à 1945

Le décor intérieur est extrêmement soigné et le professeur Adolfo Michaelis, choisi pour occuper la chaireEscalier en marbre d’archéologie classique, va largement influencer les choix. Nous sommes dans le cas très particulier d’une université presque aussi richement décorée qu’un palais princier. Là encore le message est clair. Prouver la puissance et la supériorité allemande. On va donc s’inspirer très largement de la décoration antique gréco-romaine, sur le modèle d’une villa où l’espace s’organise autour d’un patio. Concession au climat local, ce patio est ici couvert d’une verrière, le Glasshof dite aujourd’hui aula, le tout ordonné par deux étages d’arcades. La verrière originale était décorée de motifs floraux colorés qui réchauffaient la lumière naturelle et donnait un aspect plus tamisé à l’aula.
Les galeries de circulation sont couvertes de coupoles sur pendentifs. L’ensemble a été recouvert de peinture blanche durant le IIIe Reich. Là encore, l’université souhaite restaurer une partie de ces coupoles via des opérations de mécénat. La première devrait être dévoilée cette année. Un premier travail d’enlèvement du badigeon a été opéré et permet de vous donner une idée. Les coupoles mélangent un décor antiquisant, renaissance et baroque dans un ensemble très riche et fort de références.

Un ensemble polychrome

On arrive par un vestibule solennel qui ouvre sur ces deux côtés vers les circulations.

On trouve un mélange de matériaux précieux comme le marbre noir de la Lahn pour les grands escaliers, marbre des Pyrénées pour les colonnes du hall, et de trompe-l’œil comme le stuc. Le sol original est en terrazzo, l’aspect actuel date du IIIe Reich et est en marbre véritable. Le sol originel peut encore s’observer au premier étage.
Hall d'entrée du Palais UUn grand soin est apporté à la décoration intérieure. Les plafonds, les coupoles et les pendentifs sont peints de manière antiquisante, avec des fresques dites grotesques. Les murs, pour continuer cette évocation antique, sont peints dans un rouge dit pompéien. Il faut donc imaginer un ensemble largement polychrome dont l’aula est le symbole vivant mais on peut ici et là en trouver des traces. Les peintures sont dues à Oscar Schurth sur les modèles d’Otto Warth. L’aula a été restaurée à partir de 1989 et a permis de découvrir l’ensemble de ces décors où on peut apercevoir des centaures, tritons et autres méduses.
Comme à l’extérieur, un soin tout particulier va être apporté à la statuaire. Il n’en reste plus rien aujourd’hui. On trouvait ainsi, à l’inverse de l’extérieur, des bustes à visée plus politique. En avril 1898 est inauguré un buste de Bismarck dans l’escalier sud. De même, on place un buste de l’empereur Guillaume Ier au fond de l’aula, de la sorte, la figure tutélaire impériale préside à l’ensemble des manifestations de l’université. L’ensemble de ces bustes disparaîtront en 1918-1919. A ces bustes, vont s’ajouter ceux des figures marquantes de l’université, tel celui de Barry en 1890, botaniste, recteur dans l’aula ou celui d’E. Reuss en 1893, professeur de théologie.

La symbolique salle Pasteur

Salle PasteurActuellement, on peut admirer une statue originale de Ramsès II de plus de deux mètres en granit noir. Cette dernière a été exhumée en 1933 par la mission Montet. En 1937, elle est offerte à la France et en 1938, elle est placée dans l’aula du Palais U.
Il faut également signaler la très riche collection du professeur Michaelis. Ce dernier a acquis un ensemble de moulages antiques à visé pédagogique qui constituent aujourd’hui la première collection universitaire de France. Ces moulages de chefs d’œuvre ornent les couloirs et l’aula du Palais U et sont actuellement conservés au sous-sol du bâtiment.
A cette décoration très riche, il faut associer le soin particulier apporté à l’ameublement et l’aménagement des divers espaces de travail. Ainsi, on retrouve un mobilier inspiré du style Louis XIII. Les pièces sont tendues de riches tapisseries et de boiseries dont la plupart ont disparu aujourd’hui. La pièce la plus symbolique de cette opulence reste la salle Pasteur où se déroulait l’ensemble des grands événements de l’université en y réunissant l’ensemble du corps enseignant. On y retrouve les colonnes et les décorations antiquisantes, ainsi qu’un portrait en pied de l’empereur Guillaume Ier par Paul Bülow. Le positionnement même de cette salle n’est pas innocent. En effet, elle fait face au Palais impérial et de par son orientation, le soleil se lève derrière le palais. La symbolique voulant ainsi que la lumière du savoir éclaire les décisions politiques prises au Palais impérial et au Ministère d’Alsace-Lorraine (actuelle Préfecture).

De 1919 à 1968 : le Palais au cœur de l’Histoire

Le 22 novembre 1919, le Palais U accueille la rentrée solennelle des professeurs et des étudiants. Elle se fait à grand renfort de drapeaux tricolores et d’hymnes patriotiques. Pour l’occasion, l’aula est retapissée avec les tapisseries des Gobelins. Cette mise en scène Grand siècle doit être une réponse à la proclamation de l’Empire allemande dans la Galerie des glaces en 1871. Dès le début, il s’agit d'« assurer à l’Université  de Strasbourg une brillante renaissance et de lui permettre de supporter la comparaison avec son prédécesseur allemand ». Dès décembre 1918, une dizaine d’universitaires sont expulsés, étant accusés d’être partisans du rattachement à l’Allemagne. Au final, plus de 150 membres de l’Université impériale doivent céder leur place comme l’historien Bresslau. Clémenceau accorde trois millions de francs au financement de la nouvelle université. On décide de maintenir l’ensemble des facultés, y compris celles de théologies (pour la catholique suite à un accord en 1923 avec le Saint Siège sur les mêmes bases que celui avec l’Empire).
La France veut continuer de donner à l’université le rôle de vitrine qu’elle avait en Allemagne et la dote de pouvoirs très larges, d’un budget supérieur à celle de Paris et d’une autonomie enviable. L’université jouit d’un véritable dynamisme tant au niveau des enseignants que des étudiants et de la population. Le Palais U reste le centre de ce rayonnement et le quartier autour abrite désormais le personnel français. Les étrangers aussi sont séduits et là encore on les retrouve nombreux parmi les étudiants, ainsi en 1924, près de 1/5e d’entre eux proviennent d’ailleurs (surtout d’Europe de l’Ouest).

1939 : l'Université de Strasbourg s'installe à Clermont-Ferrand

Pétition adressé au président LebrunSentant venir le danger, en janvier 1939, 128 membres de l’université signent une pétition adressée au président Lebrun pour « que la France maintienne les traditions de liberté, de tolérance politique, religieuse et ethnique qui constituent, au même titre que le territoire, le patrimoine de la nation, font la force de son patriotisme et sont la source de son rayonnement universel ».
En septembre 1939, l’université  prend la décision d’évacuer Strasbourg avec l’ensemble des personnels et des étudiants qui le désirent. Elle s’installe alors à Clermont-Ferrand et entre en résistance. Après l’Armistice, on note un refus quasi unanime de retourner à Strasbourg.
L’université devient alors la Reichsuniverität. Le IIIe Reich veut renouer avec la gloire de l’Empire, les cérémonies d’inauguration du 23 novembre 1941 dans l’aula sont fastueuses même si Hitler n’y participe pas mais lui accorde 250 000 reichsmark, mais 800 personnalités nazies y sont présentes, ironiquement on y rencontre le prince Auguste de Prusse, dont le doctorat avait soulevé l’indignation, qui s’est rallié au nouveau régime. Cette cérémonie sanctionne de fait l’annexion. On note un fort recul des étudiants étrangers mais une explosion des effectifs féminins qui pallie aux garçons partis à la guerre.

Le Palais U sous le régime nazi

On change la scénographie du Palais U, exit les références antiques noyées sous la peinture, on installe une statue gigantesque de l’homme aryen dans l’aula et au dessus d’elle, les ailes de l’aigle. Toutes les salles sont redécorées en fonction du style sobre assez raide qui a les faveurs du régime nazi. Ce style dit totalitaire, dont de nombreuses traces subsistent en Italie, est assez rare en France. Le but recherché étant que l’individu se sente tout petit face à un pouvoir qui le dépasse. En résulte une architecture très froide ou le marbre prédomine. Ainsi, on refait le sol de l’aula dans un marbre uni, la bibliothèque est repensée dans un style plus dépouillé et la salle Pasteur sera totalement coffrée de marbre.
En 1943, une grande rafle aura lieu à Clermont-Ferrand et de nombreux enseignants et personnels seront torturés et/ou exécutés comme l’historien Paul Collomp ou plus tard en 1944, l’historien Marc Bloch, résistant, juif et fondateur à Strasbourg de l’école des Annales qui repense complètement la manière de faire de l’histoire. Une plaque salue la mémoire de tous ces morts à l’entrée du Palais U.

1949 : l'aula du Palais U accueille l'inauguration du Conseil de l'Europe

Strasbourg est libérée le 23 novembre 1944. L’université fait sa rentrée au Palais sous le patronage du Général de Gaulle le 5 octobre 1945. Redevenue française l’université entend reprendre sa fonction d’enseignement et de recherche en se dotant des moyens nécessaires à ses ambitions : développement de la recherche fondamentale (physique et chimie), création de filières professionnelles, mise en place du télé-enseignement, comme en théologie catholique.
Pour accompagner cette renaissance, Strasbourg est choisie pour accueillir le Conseil de l’Europe et son inauguration se fait le 10 août 1949 dans l’aula du Palais. L’université est reconnue pour sa résistance à l’oppression. Churchill ou Herriot vont présider à cette inauguration.Conseil de l'Europe dans l'aula
Les premières restaurations de l’aula se font sur les crédits de l’Union européenne pour fêter les 40 ans de la tenue de l’assemblée constitutive du Conseil font réapparaître les décors de 1884.
A la fin des années 1960, le site de l’Esplanade commence à sortir de terre et le pôle de l’université se déplace petit à petit du Palais vers l’Esplanade. En 1967, la Faculté de droit ou la tour de Chimie sont sorties de terre. Cependant, le Palais reste un symbole fort de l’université. La preuve en est qu’il sera le centre de la contestation estudiantine de 1968.

La naissance des trois universités

Le 11 mai 1968, le drapeau rouge flotte sur le Palais où se réunissent plus de 6 000 étudiants et 150 enseignants menés par le doyen de théologie protestante, Roger Mehl. On proclame l’autonomie de l’université. Le Palais U est très largement occupé et les assemblées générales se tiennent dans l’aula.
Le 12 juin 1968, le Palais est évacué par la police. De ces manifestations naîtront trois nouvelles universités : Strasbourg I pour les sciences, Strasbourg II pour les sciences humaines et Strasbourg III pour les sciences juridiques.
Aujourd’hui, le Palais reste un symbole fort de l’identité universitaire, encore plus depuis la fusion des trois universités en 2009. Il reste un marqueur identitaire fort pour la communauté universitaire, le cœur des nombreuses cérémonies officielles et un lieu très demandé pour les événements de prestige.
Ainsi, de 1884, date de son inauguration, à aujourd’hui, le Palais U a été le symbole d’une université modèle. Voulue dès le départ comme le centre de tous les savoirs, comme un pôle d’excellence et d’exigence scientifiques qui concilient aussi bien les sciences dures que les sciences humaines, l’histoire du Palais se fond dans celle de l’université. Si l’extérieur du bâtiment a finalement très peu souffert, l’intérieur a perdu de son lustre d’antan. La politique actuelle de l’université et de redonner à son bâtiment symbolique toute sa gloire d’antan. Preuve en sont les nombreuses restaurations déjà réalisées : aula, groupes sculptées du fronton mais surtout les projets en cours. Remise en place des deux statues et restauration des coupoles de l’aula dont la première devrait être restituée cette année. Tous ses projets ne peuvent s’appuyer que sur le mécénat.

Le musée des moulages

Musée des moulagesA l’origine, le professeur Michaelis, antiquisant de renom, a choisi de disposer son impressionnante collection de moulages dans le Palais. Ainsi, les statues complétaient le décor antiquisant, disposées dans l’aula et les circulations. Le professeur souhaitait disposer d’une sorte de musée imaginaire idéal présentant l’évolution de l’art de la sculpture.
Ces moulages réalisés à partir d’originaux trouvés lors des fouilles du professeur avaient pour but de permettre aux étudiants de travailler sur du concret, sans avoir à se déplacer. En ce sens de nombreuses œuvres étaient placées sur roulettes pour les transporter, au gré des besoins, dans les salles de cours.
De 1939 à 1945, pour préserver cette collection, elle a été déplacée au sous-sol du bâtiment et n’en est plus jamais remontée.
En 1968, certaines pièces ont servi de barricades aux étudiants lors des manifestations.
Cette collection reste la première collection universitaire et la deuxième de France de part la richesse de son fond. Certains originaux de ces œuvres sont perdus et les moulages sont la seule trace qui en demeure.

Matthieu Mensch
Responsable du Palais universitaire